LE SORT DE RAOUL
Texte de
L’histoire ci-dessous est inspirée de faits réels et auxquels
faits (vécus à Yamachiche) ont été ajoutés de la fiction; bonne lecture.
En des temps anciens, au début d’une belle journée d’automne, un
quêteux au manteau noir et au chapeau sur la tête, prénommé Oscar, tout
en étant un peu bourru avec une voix grave, se trouve à passer dans un
des rangs d’une municipalité de la région de la Mauricie et frappe à la
porte de l’une de ses maisons, ce après avoir couché dans la grange du
fermier de la demeure voisine. La mère de famille de ce foyer, veuve et
prénommée Jeanne, vient répondre et lui demande ce qu’il veut pour voir
ce dernier lui demander la charité pour l’amour de Dieu. La dame de
cette famille pauvre, accompagnée de ses deux garçons, soit Donat âgé de
8 ans et Raoul âgé de 10 ans, lui offre une bonne soupe chaude et un
morceau de tarte. L’itinérant quémandeur Oscar, à l’apparence délabrée
avec ses vieux vêtements, s’attendant à recevoir quelques sous et non de
la nourriture, se fâche et refuse ce don tout en faisant volte-face en
quittant rapidement les lieux et en jetant un sort à cette pauvre femme
sans le sou. Le sort en
question est que son garçon le plus vieux, soit Raoul, ne dormira
dorénavant plus à partir de ce jour et ce, jusqu’à la mort de l’homme
solitaire concerné, ledit sort devenant à ce moment inefficace et
annulé. Ne prenant pas cette menace au sérieux, la mère laisse ledit
homme déçu s’en aller et celle-ci continue ses activités journalières
comme d’habitude. Le soir venu, la famille se couche et comme prédit par
le mendiant, Raoul ne peut s’endormir, demeurant éveillé toute la nuit
et se levant un peu fatigué au matin. Jour après jour, Raoul va au lit
par habitude, mais sans jamais dormir, même s’il ferme les yeux tout en
tentant de ne penser à rien, ce toujours sans résultat; son jeune frère
Donat et sa mère Jeanne sont désemparés face à cette situation devenant
de plus en plus dramatique au fil des jours. La fatigue
physique commençant à faire son œuvre sur la résistance de Raoul, même
en se nourrissant correctement afin de bien oxygéner son cerveau, ses
réflexes deviennent de plus en plus lents tout en ayant, à l’occasion,
des pertes d’équilibre. Son état de santé l’empêche éventuellement de se
rendre à l’école du rang, incapable de se concentrer pour apprendre. Il
faut se rendre à l’évidence, soit le voir demeurer à la maison et lui
faire comprendre qu’il doit accepter son sort, si cruel il est. Après 2
ans à ne rien faire même s’il réussit à étudier sporadiquement, Raoul
s’ennuie et décide de faire quelques petits travaux qui ne le fatiguent
pas trop, conditionné quelque peu à sa nouvelle vie sans dormir. Il se
sent utile à la petite famille, avec sa mère et son frère Donat,
celui-ci l’aidant et le surveillant surtout pour qu’il ne lui arrive
rien de mal, soit par une chute, soit par un manque d’énergie ou soit
encore par un manque de savoir-faire, car il faut qu’il réapprenne tout
différemment. Après une
année à ses côtés, Donat laisse l’aîné Raoul prendre plus d’initiatives,
lui permettant de travailler seul chez le fermier voisin, toujours avec
de légers travaux comme le nettoyage printanier du sol de la grange en
enlevant les résidus de foin et comme le remisage des outils aratoires à
la traîne. Lors d’une journée de pluie, moment idéal pour œuvrer à
l’intérieur, Raoul veut en finir, à son rythme lent habituel, avec ce
qu’il y a à faire dans cette remise à foin, soit jeter tout ce qui est
inutile sur les lieux en l’envoyant à la poubelle; dans le tri des
objets, il met la main sur un petit calepin, lequel contient des
informations intéressantes, soit des formules à prononcer pour lancer un
sort à une ou des personnes et intitulé par son auteur dans une écriture
au crayon de plomb « Formules magiques pour jeter un sort ».
Immédiatement, Raoul fait la relation avec l’itinérant Oscar d’il y a
trois ans ayant passé chez-lui et est certain que ce calepin appartenait
à cet individu, ce après avoir ultérieurement vérifié avec le fermier
qu’il avait effectivement couché dans ladite bâtisse.
Raoul,
curieux de nature, entreprend de lire du début à la fin ce petit livre
pour découvrir une kyrielle de formules magiques servant à jeter des
sorts comme ne plus se souvenir du passé, comme accoucher d’un enfant
avec une tête de chat, comme rendre quelqu’un amnésique, comme condamner
à mort à brève échéance, entre autres, et soudain, il tombe sur la
formule magique qui le concerne directement, soit celle pour l’empêcher
de dormir, ce jusqu’au moment de la mort de celui qui jette le sort,
annulant automatiquement le sort, ce qui prend habituellement beaucoup
de temps, soit interminable pour la victime. Mais, il y a une autre
formule suivant cette dernière et c’est pour arrêter le sort jeté, ce
qui intrigue Raoul. Cette dite formule fonctionne seulement à une
condition, soit que celui
qui en est la victime ne soit pas le responsable de l’acte qui lui est
reproché; dans le cas de Raoul, il était parfaitement innocent à cet
instant précis, ne sachant probablement pas que le mendiant venait de
lui lancer ce sort et encore moins la raison. À tout évènement, le jeune
Raoul lit à haute voix la fameuse formule devant conjurer ce sort et
espère de tout son être qu’il va enfin s’endormir à son coucher. À peine
quelques minutes après s’être étendu dans son lit, le sommeil vient
enfin et il réussit à se rendre directement au matin sans le moindre
éveil! En ouvrant les yeux et voyant la clarté arrivée dans sa chambre
par la fenêtre, il jubile et célèbre cet heureux évènement avec sa mère
et son frère Donat en remerciant, ensemble, le ciel par un recueillement
de quelques minutes. Les jours et les mois suivants redeviennent normaux
et la vie est belle pour chaque membre de cette petite famille, même si
la pauvreté est toujours présente. Dans la 4ème
année qui suit ce moment de bonheur, soit le retour du sommeil, le décès
de Jeanne, la mère de Donat et Raoul, emportée rapidement par une
maladie incurable, vient jeter beaucoup d’ombre dans leur vie
respective, d’autant plus que Donat, maintenant à 15 ans et Raoul, rendu
à 17 ans, sont encore très jeunes pour demeurer seuls et n’ont pas
encore l’âge légal pour gérer une maison. Heureusement, leur mère
avait tout prévu avant sa mort, soit la garantie de sa sœur
célibataire, Pauline, que cette dernière prendrait charge de la gestion
du foyer familial et ce jusqu’au moment où les deux garçons soient aptes
à le faire eux-mêmes; Pauline, demeurant à ce moment chez son frère
marié, s’occupera donc dorénavant de Donat et Raoul. Quatre autres
années passent sans anicroches, les deux jeunes s’entendant très bien
avec leur mère adoptive, soit tante Pauline. Maintenant
rendu à 21 ans, Raoul atteint l’âge légal (car c’était 21 ans à cette
époque) et peut prendre beaucoup plus de responsabilités, mais, lui et
son frère Donat, sont satisfaits de leur sort avec leur tante Pauline
comme mère et conseillère et ne demandent pas mieux pour encore quelques
temps, ce qui fait aussi l’affaire de Pauline. Peu de
temps après cette entente avec leur « nouvelle » mère, Raoul décide de
remplacer une planche pourrie du coin de la grange et en se dirigeant
vers celle-ci avec son marteau et la planche neuve, un trou récemment
creusé par une marmotte le fait tomber lourdement par en avant, avec le
visage qui heurte violemment une grosse roche au fameux coin de la
bâtisse. Le nez, heurtant en premier cette masse rocheuse, se met
immédiatement à saigner et ce, abondamment, car une veine est touchée et
dû à son sang plutôt clair, il est en réel danger. Son frère Donat, pas
très loin, voit la scène et en remarquant la gravité de la situation, il
entre subito presto par la porte arrière à la maison pour avertir
Pauline. En ouvrant
la porte et en criant sa détresse, il voit Pauline en train de donner
une aumône à un mendiant à la porte avant et cet homme, voyant le
désarroi de Donat et l’état grave possible de son frère, les accompagne
à son chevet. Face à la
situation plutôt dramatique, avec la mare déjà assez grande de sang sur
et à côté de la roche, soit par terre, ce quêteux, malgré la panique
s’étant emparé de Raoul, les rassure tous les trois, et dit à Pauline
qu’il va arrêter le saignement du nez. En effet, à peine quelques
instants après, tout en ayant vu l’itinérant prononcer tout bas une
formule, le sang ne sort plus de l’appendice nasal et Raoul est
maintenant sauvé (même s’il est vraiment affaibli), ce grâce audit homme
errant. La chance a voulu que cet individu se trouve là au bon moment
car il possède ce don d’arrêt du sang, lequel lui a été transmis dans sa
jeunesse par un membre de sa famille lors de son décès, car ledit don ne
peut appartenir qu’à une seule personne à la fois; ce mendiant a eu la
chance de recevoir ce précieux héritage et de s’en servir à bon escient. L’ironie de
la guérison presque instantanée de Raoul, une résultante directe du don
de l’itinérant, est qu’il est le même individu qui lui avait jeté un
sort 11 ans auparavant, soit Oscar. Le dénommé Oscar ne se souvient
sûrement pas de cet événement du passé, d’autant plus que c’est Pauline
et non la mère Jeanne qui lui a répondu lorsqu’il s’est présenté à la
porte, ce il y a à peine quelques minutes; il ne se souvient
certainement pas plus du jeune garçon de 10 ans, auquel il avait lancé
ce sort et changeant son destin pour quelques années éprouvantes!
D’autre part, Raoul, revenu de ses émotions après avoir repris ses sens
de son accident des derniers instants, ne reconnaît nullement son bon
samaritain du moment, lequel l’avait pourtant condamné dans le temps
avec son sort, car ledit individu errant avait une moustache à cette
époque et maintenant, tout en se déplaçant avec une canne, il possède
une barbe fournie! D’autant plus que son agressivité d’antan semble
maintenant totalement disparue pour laisser place à une certaine douceur
dans sa voix. Les deux hommes se seront rencontrés deux fois, dans deux circonstances complètement différentes l’une de l’autre, sans se reconnaître à la deuxième occasion, ce qui est probablement mieux pour les deux, ce afin de ne pas réveiller des mauvais souvenirs : ce que l’on ne sait pas, ne fait pas mal, dit-on! Les deux auront donc continué leur vie respective chacun de leur côté et se seront peut-être rencontrés plus tard sans encore une fois le savoir, car jamais deux sans trois, dit-on aussi!
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