Conte fantastique

 

                                                                     MAJOR ET DOUCETTE   

 

                                                                    Texte de Michel Bourassa

 

 

         Dans l’Est québécois, au tout début de l’arrivée des premiers habitants d’outre-mer, quelques petites colonies s’établissaient peu à peu le long du fleuve Saint-Laurent et certaines familles, plus audacieuses, osaient avancer vers le nord, toujours à proximité d’un cours d’eau et souvent dans une plaine peu peuplée d’arbres, ce afin de faciliter la culture. Un certain été, une de ces colonies osa se rendre dans cette nordicité estrienne tout en demeurant à la portée du village le plus près afin d’avoir des contacts réguliers avec la civilisation. Au premier soir de leur arrivée, le ciel avait revêtu ses plus beaux atours pour les accueillir avec son impressionnante Lune blanche qui trônait au centre de son vaste espace, ladite planète étant accompagnée d’une multitude d’étoiles scintillantes à la lumière semblant être directement sortie d’un conte de fées.

 

Ce groupe de colons se composait de quarante-et-un individus, composé de huit couples mariés, de quatorze enfants, de six grands-parents, de quatre célibataires (deux femmes et deux hommes) et d’un homme solitaire dans la cinquantaine prénommé Major qui décida de les suivre afin de s’établir dans leur communauté. Major fut rapidement accepté par ces gens, car il avait l’expérience des grands espaces, tant pour la chasse, la pêche ou l’orientation en forêt, entre autres. Il pouvait aussi fabriquer certains outils de base pour travailler la terre ou pour les utilités quotidiennes. Cette petite agglomération avait choisi un site merveilleux pour la construction des maisons, soit une spacieuse vallée assez plane où les arbres brillaient par leur absence sur une grande partie de sa surface. De plus, une montagne, fournie de conifères et de quelques feuillus s’y perdant, encerclait ce lieu paradisiaque, les protégeant des éventuels forts vents tout en atténuant tous les possibles intempéries ou autres manifestations naturelles du genre.   

 

Peu après l’établissement de cette colonie de gens, ceux-ci se sont choisis un nom temporaire pour ce territoire enclavé et le baptisa Vallée-des-Aurores, en l’honneur des nombreuses aurores boréales occupant leur firmament lors de certaines périodes nocturnes de l’année. La découverte de ces aurores qui sortent directement de l’effet du soleil sur les particules se promenant dans l’air et se déplaçant par les vents véloces permet encore aujourd’hui d’admirer ces étranges créatures célestes dans des coloris fantastiques de vert et de rouge occasionnés par lesdites particules contenant de l’oxigène et d’autres fabriqués par des particules d’azote dans le bleu, le rouge et le violet; certaines de ces aurores, nommées aurores polaires au Pôle Nord, se voient parfois attribuer d’un jaune éclatant à la tombée du jour, soit au coucher du soleil, pour ainsi voir cette couleur se joindre à la danse aérienne des êtres féériques qui fêtent pendant la période nocturne de certains jours. Se pourrait-il que ce soit les couleurs de l’arc-en-ciel qui, tellement ordonnées habituellement, décident de s’amuser les unes et les autres dans des arabesques des plus agréables pour l’œil à chacune des valses improvisées dans leurs chorégraphies époustouflantes relevant de la magie?   

 

 

Le quinquagénaire Major, un peu retiré de la communauté, s’était établi à mi-chemin entre la montagne et ces gens, ce afin de demeurer lui-même, soit une âme solitaire. Au fil des jours, il apprivoisait les animaux de son environnement faunique tout en communiquant régulièrement avec les individus de son clan. Les animaux qui le côtoyaient se composaient, entre autres, d’un couple d’ours noirs, lequel avait été aperçu la première fois en pleine saison estivale, se nourrissant de petits fruits à la base de la montagne; dès la venue des jours plus courts devenant de plus en plus froids, ces bêtes à la fourrure noirâtre disparurent afin d’hiberner.

 

Les villageois de Vallée-des-Aurores passèrent un hiver des plus rigoureux, oeuvrant dans la nature pour le strict nécessaire, dans l’interminable attente d’un printemps retardataire. Lors de chacune des sorties de leur petite maison en bois rond dans ce froid tellement intense, les paroles de leurs échanges verbaux gelaient instantanément et étaient transportées vers le sapinage du bas de la montagne pour aller se poser en gouttelettes de givre sur les rameaux de l’un des arbres, ce jusqu’aux premières journées ensoleillées du printemps. Dès ces moments plus cléments tant attendus, la rumeur dit que des mots se faisaient ouïr dans l’entourage, tant par les animaux que les humains, et qu’au fur et à mesure que la chaleur s’accentuait et changeait le givre en vapeur d’eau, il était possible d’entendre une courte phrase d’un citoyen : embarrassant comme situation!?

 

À tout événement, Major ne cessait de travailler à rendre la vie plus facile à sa communauté par la fabrication de divers outils et autres objets utiles et il profitait de chaque rayon projeté sur la partie supérieur de son corps par un astre du jour de plus en plus efficace au fil des semaines; son torse à la peau foncée, en plus de se dorer, possédait un système pileux de couleur jais très abondant, lui donnant un air animal avec son visage aux traits bourrus, étant seulement une impression et non le cas. Cet air va l’avantager sans qu’il le sache encore. Major aimait faire de petites marches vers la montagne et explorer les sentiers possibles pour mieux connaître son environnement et ainsi, peut-être découvrir des éléments dans cette nature sauvage pouvant être utiles à tous, comme des ruisseaux à poissons, des espèces de fruits et des essences de bois intéressantes, entre autres.

 

Lors de l’une de ces randonnées improvisées, il fit la découverte d’un étroit passage situé dans une fissure de la base de cette immense masse rocheuse, lequel passage était dissimulé derrière une grosse roche laissant un espace d’à peine trois pieds pour s’y glisser, ledit espace souvent obstrué par diverses plantes sauvages. Mais des pistes d’animaux aidèrent à repérer cet endroit avec quelques herbes piétinées et Major réussit à entrer dans cette ouverture, avec toutes la prudence requise, ne sachant à quoi s’attendre à chaque pas de son avancé. Rendu à quelques 20 pieds à l’intérieur de ce semblant de grotte, il aperçut la paroi de la montagne et des restes de différentes nourritures au sol, mais rien d’autres, se doutant toutefois que cette cavité était habitée; il en ressortit donc sous cette impression.

 

Quelques jours après cette promenade, Major aperçut la femelle ours avec un ourson, mais pas de père! Plus les jours passaient, plus les deux animaux s’habituaient à la présence de notre homme à tout-faire et s’y rapprochaient de plus en plus. De son côté, Major, remarquant ce semblant d’apprivoisement de leur part, fit de même en des rapprochements des plus lents, délicats et si l’on peut dire, hypocrites, pour se retrouver parmi eux! Ce compagnonnage toléré dans les débuts devenait de plus en plus un rituel nécessaire, d’autant plus que Major y contribuait largement en apportant de la bouffe aux ours, surtout pour le jeune, lequel semblait avoir perdu définitivement son père; la mère ours sentit cet attachement pour son rejeton et manifestait sa reconnaissance par des grognements affectueux dirigés vers notre ami. En retour, Major adoptait les mêmes mouvements de lenteur dans ses déplacements et les mêmes grommellements généralement remplis de douceur dans la communication. Le petit, lequel hérita du nom de Noiraud (dû à la couleur de son pelage), en était devenu à se laisser flatter par Major, ce sans la moindre opposition de sa mère, laquelle, éventuellement, fut appelé Doucette (dû à sa douceur toute naturelle qu’elle dégageait).

Par une matinée nuageuse de ce même été, l’instinct maternel de Doucette la poussa à guider Major vers un chemin étroit à la première strate de la montagne, lequel chemin il fallait monter et se trouvait caché par des arbres. Tout en avançant le long de la paroi, un plateau d’une quinzaine de pieds débuta à révéler sa présence pour enfin montrer toute la splendeur de ce site lorsque rendu sur la surface par le panorama offert aux yeux de Major, lesquels pouvaient admirer la spacieuse vallée qu’il habitait. Accompagné de Doucette et Noiraud, Major se réjouissait de les avoir suivis, ignorant totalement ces lieux paradisiaques; mais notre ami va rapidement revenir sur Terre lorsque Doucette le regarda et poursuivit sa route un peu plus loin et plus haut encore pour le mettre devant un fait qu’il n’oubliera pas de sitôt!

 

En effet,  après quelques pas vers l’avant, soit vers la paroi où se trouvait une fissure entre celle-ci et le plateau, Noiraud regarda en bas, suivi par Doucette et Major, pour constater avec stupeur que le corps en début de décomposition d’un ours (sûrement le mâle et père de Noiraud) y était coincé, tombé dans une fausse manœuvre, une bataille ou pour toute autre raison. Notre homme à tout faire, travaillant ce matin-là à couper des arbres pour usages multiples, baissa la tête tout en regardant sereinement Doucette, en signe de compréhension devant la perte de son partenaire et aussi, en signe de remerciement pour la confiance qu’elle manifesta à son égard en partageant ces lieux et son secret. Dans les jours suivants, Doucette va amener Major dans la petite caverne qu’il découvrit par hasard un peu plus tôt, sans toutefois le faire paraître. Dorénavant, notre ami visitera à plusieurs reprises ce repaire des plus sécuritaires pour ces ours et « veillera » en quelque sorte avec et sur eux.

 

L’été terminé, les jours raccourcissaient pour se rendre à l’évidence que la saison de l’automne achevait à son tour, obligeant Major et les deux ours à se préparer adéquatement, chacun de leur côté, afin de traverser un autre hiver, soit la période la plus difficile de l’année. Malgré la même routine qui régnait dans la population de Vallée-des-Aurores, parfois une famille ou un individu augmentait le nombre de cette communauté quelque peu isolée. Justement, un homme dans la quarantaine du nom de Paul Moreau, arrivé depuis quelques semaines seulement, mais bien intégré, s’était rapidement lié d’amitié avec Major, malgré son arrivée récente, ayant en commun le célibat, entre autres. De jours en jours, toujours de plus en plus courts, Doucette et Noiraud, nos ours, se préparaient lentement de leur côté pour le grand sommeil hivernal en se gavant continuellement de touts les fruits se trouvant à portée de patte.

 

Major, ayant appris à comprendre les constellations et à découvrir où la Grande Ourse et la Petite Ourse se trouvaient dans l’univers sidéral dans toute cette kyrielle d’étoiles qui paraissaient lors des belles soirées au ciel dégagé, s’assoyait régulièrement sur un banc artisanal et admirait à chaque occasion ces merveilles naturelles, sans se lasser, tout en pensant, parfois, à ses deux amis animaux.

 

Un bon matin où le soleil accordait les faveurs de sa chaleur pour une des dernières fois de la saison, Major en profita pour terminer certains petits travaux autour de son petit domaine, voyant par la même occasion Noiraud, pas très loin de lui, et Doucette, un peu plus à l’arrière, se gaver des dernières traces de nourriture se présentant à eux, ce avant de se retirer pour le grand sommeil. Noiraud approcha de Major et dans un genre de cérémonial d’adieu avant ce dit retrait hivernal, il commença à s’amuser avec son copain et à le frapper amicalement sur les épaules et dans le dos tout en se roulant tous les  deux par terre. À ce moment, Moreau surgit et en voyant cette scène,  se précipita sur Noiraud pour le poignarder directement au cœur avec le couteau qu’il venait porter à Major, ce pour l’aiguiser, donnant le résultat de voir le jeune ours, devenu presque adulte, s’affaisser sur le sol et se vider de son sang dans des gémissements de plus en plus faibles pour se terminer par la mort.

 

Major, encore debout et immobile dans un état de choc, constata cette triste réalité avec Moreau, ce dernier ne sachant pas la relation d’amitié entre l’ours et Major, croyant à une agression. De loin, Doucette visionna cette horreur concernant la fin tragique de son jeune Noiraud et approcha lentement dans des sentiments de méfiance mêlés d’incompréhension tout en interrogeant des yeux les deux hommes sur le pourquoi de cette mort. Tout en hochant et dodelinant constamment de la tête, elle tournait autour de Noiraud, le léchant à l’occasion, pour se résigner à le quitter, ce toujours avec Major et Moreau tout près. Doucette, d’une nature calme, regarda les hommes  et s’éloigna en silence avec sa douleur vers la montagne pour y disparaître.

 

À partir de cet instant, Major ne revit plus Doucette dans les parages, celle-ci ayant probablement perdu confiance en la bonté des humains, et notre ami passa plusieurs soirées à se remémorer les nombreux bons souvenirs en présence de nos deux ours par la contemplation des constellations, soit la Petite Ourse et la Grande Ourse en particulier. Depuis ce temps, les ours et les humains  évitent de se rencontrer, la méfiance étant de mise les uns envers les autres.

Est-ce que Doucette a eu son mot à dire?